Les récits de Hong Sang-Soo nous réservent toutes sortes de situations tant banales que burlesques que je n’ai jamais eu trop de mal à coudre en un tout signifiant, mais j’avoue que ce film m’a laissé plutôt perplexe. Heureusement, le commentaire un peu confus mais non moins incisif de Corinne Rondeau sur France Culture vient de m’éclairer sur son motif :
« C’est quand même sur la femme que réside la force du film, à savoir, ce qui me reconnaissent ne sont pas ce que je connais. Le film c’est toujours un homme qui va dire “Je vous connais”, et elle qui dira “On s’est déjà vu ?" […] C’est toujours une femme qui doit porter cette reconnaissance que les hommes ne sont pas lâches. C’est peut-être que les femmes en savent un peu plus que les hommes de, justement, la qualité de l’invention, de la manière dont on peut inventer, réinventer la relation, la relation d’amour, et enfin l’amour tout court, puisque la question, c’est comment puis-je retrouver la femme que j’aime, alors qu’elle m’a quitté ? […] Cette femme sait exactement que l’amour, ça ne passe pas par la vérité, ça passe par du mensonge, ça passe par un jeu d’apparence. Et effectivement l’amour est-ce que ça doit être le jeu des promesses que nous nous faisons ? […] “Tiens, tu as bu un verre avec qui ? Quelqu’un ce soir ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Mais évidemment il y a rien derrière ça […] On se rend compte jusqu’au moment où l’invention passe aussi dans le film, à travers des rêves, des histoires d’hallucination, et le retour, ô peut-être, de l’amour. Parce que […] c’est une manière de nous conduire à l’amour […] de faire éclater un certain nombre de relations qui sont tout à fait normées, […] parce qu’elle est réglée entre les individus. À un moment donné, ça saute, saute la reconnaissance, saute la signification. Et d’un coup, on cherche du sens. On cherche du sens au-delà de ce que peut signifier les mots entre soi, et que c’est la raison pour laquelle ce film traverse des rêves et que ces rêves conduisent à la réalité. Et d’un coup, le réalisateur nous dit que “Vivre, c’est ça”. C’est-à-dire les filles et les garçons peuvent boire autant qu’ils veulent, ça peut être le désastre, mais tant qu’il y a de l’amour, c’est pas un problème. Et ça je trouve formidable dans le film. Passer par le rêve pour atteindre un degré de réalité, c’est pas passer par les règles, au contraire. De toute façon, le film commence par la question de la règle et de la reconnaissance. »
Il y a quelque chose que la chroniqueuse ne dit pas mais que je trouve tout aussi essentiel pour faire fonctionner cette histoire d’amour : il s’agit de la qualité rédemptrice de l’expérience. Il y a chez HSS cette reconnaissance explicite du caractère transitoire de l’individu, telle une mille-feuille existentielle qui se dédouble (littéralement) avec le temps, et qui s’affranchit de ses versions précédentes pour se réinventer, tout en étant redevable à ce passé qu'on cherche pourtant à dépasser. Minjung incarne cet individu, et c'est sur son geste, d'apparence (trop) frivole, du déni du passé que repose la grandeur du film. Ce dialogue à la fin du film présente un mélange vertigineux du désir du renouveau et de l'aveu des échecs antérieurs. Le renouvellement de l'expérience amoureuse, tout comme la progression de l'individu, présente la synthèse du déni et de la reconnaissance de l'expérience, tel est donc la dialectique profonde de Yourself and Yours.
https://www.franceculture.fr/emissions/la-dispute/cinema-yourself-and-yours-la-femme-qui-est-partie-et-love-streams (L’intervention de Rondeau commence à 9m21.)